L’Otan dans l’ombre de l’opération nazie Barbarossa
Regardons l’Opération Atlantic Resolve menée par les États-Unis dans une perspective plus réaliste, historique. Alors nous pouvons infailliblement constater qu’elle a la portée et la résonance sinistre d’une fameuse opération, l’Opération Barbarossa, l’immense invasion de la Russie soviétique par l’Allemagne nazie pendant l’été en 1941.
Ceci n’est pas une analogie superficielle à la recherche du sensationnel.
Si nous examinons la puissance des motifs idéologiques, il y a un continuum cohérent.
L’assaut délibéré de l’Allemagne nazie sur l’Union Soviétique en juin 1941 était la plus grande invasion militaire jamais vue dans l’histoire de la guerre moderne. Il a provoqué la mort d’environ trente millions de Russes, civils et militaires, aux mains de la Wehrmacht, des Waffen-SS et des équipes d’extermination Einsatzgruppen, en même temps que par la famine, la maladie et les privations épouvantables, comme dans les villes de Leningrad et Stalingrad.
L’opération Barbarossa, comme l’opération Atlantic Resolve, s’étendait de la Baltique à la mer Noire, avec les phases clefs de l’invasion en Estonie, en Pologne et en Ukraine. Et nous nous demandons pourquoi on trouve si provocatrice, en Russie, l’attaque du régime actuel de Kiev sur le peuple russe ethnique de l’Ukraine orientale? Pendant l’opération Barbarossa, des régiments ukrainiens ont servi d’auxiliaires au Waffen-SS dans le massacre de millions de camarades ukrainiens, des Russes, des Polonais, des Gitans, des juifs et d’autres.
Tous étaient vus comme des Untermenschen (des sous-hommes) devant être éliminés pour laisser place à l’exceptionnelle race aryenne germanique.
Quand Adolf Hitler a écrit son infâme manifeste, le tristement célèbre Mein Kampf, en 1925, il a postulé que la grandeur impériale de l’Allemagne serait réalisée en écrasant la Russie soviétique. Le nécessaire Lebensraum [espace vital, NdT] serait acquis par la conquête de la région orientale, qu’il a dénigrée comme étant peuplée par les «sous hommes slaves gouvernés par des juifs bolcheviques».
La haine de Hitler pour la communauté juive n’a été égalée que par sa haine totale pour la Russie communiste. Selon son opinion, les deux devaient être exterminées.
L’histoire conventionnelle occidentale a tendance à se concentrer sur l’antisémitisme d’Hitler et sur la solution finale comme étant dirigés principalement contre les juifs. La vérité est qu’Hitler et l’Allemagne nazie ont été également hantés par la destruction de la Russie soviétique. Cette obsession au sujet de la Russie soviétique a été intimement partagée dans des cercles dirigeants occidentaux dans les années précédant la Seconde Guerre mondiale.
En 1918, à la fin de la Première Guerre mondiale et malgré toutes ses horreurs et le bilan de vingt millions de morts, le Secrétaire d’État américain Robert Lansing était ennuyé par une tout autre question quand il a écrit : «Le bolchevisme est la chose la plus affreuse et monstrueuse que l’esprit humain ait jamais conçue. (…) C’est pire, bien pire qu’une Allemagne prussianisée et signifierait une menace bien plus grande pour la liberté humaine.»
La révolution d’Octobre 1917 en Russie et la menace d’insurrection communiste dans le monde entier se présentaient aux dirigeants occidentaux comme un cauchemar absolu. Cette peur a été renforcée par la crise du capitalisme à ce moment-là, le bourbier de la récession économique, l’écroulement social et la Grande dépression, qui ressemble à la crise d’aujourd’hui.
Les élites occidentales ont fait la cour au fascisme en Europe – au Portugal, en Espagne, en Italie, en Allemagne –, cherchant un rempart contre la diffusion des mouvements socialistes inspirés par la Révolution d’Octobre en Russie. On a vu l’Allemagne hitlérienne, avec ses prouesses industrielles, comme un régime fort et anti-soviétique, particulièrement favori, qui écraserait un mouvement ouvrier européen en pleine croissance, ainsi que le rival géopolitique du capitalisme occidental, représenté par la Russie.
Il est de notoriété publique que de nombreuses sociétés américaines, des banques de Wall Street à Ford et General Motors, ont lourdement investi dans le développement de la machine de guerre nazie pendant les années 1930. Le Führer a aussi été secrètement encouragé par l’élite conservatrice britannique, menée par le Premier ministre Neville Chamberlain et son ministre des Affaires étrangères, Sir Halifax, qui lui ont donné carte blanche pour s’étendre vers l’est. Quand l’Allemagne nazie a annexé l’Autriche et les Sudètes tchèques en 1938, c’était juste le début de l’assaut final prévu contre l’Union Soviétique que les dirigeants occidentaux encourageaient tranquillement. (Voir le livreLa Collusion Hitler-Chamberlain de Alvin Finkel et Clement Leibovitz.)
Quand l’opération Barbarossa à démarré pendant l’été de 1941, la plus grande invasion militaire de l’histoire accomplissait ainsi un ordre du jour stratégique profond pour écraser la Russie comme rival géopolitique, pas seulement pour l’Allemagne, mais aussi pour les puissances occidentales qui avaient secrètement développé la machine de guerre nazie.
Une bizarrerie dans la logique historique a vu les gouvernements occidentaux entrer en guerre contre l’Allemagne nazie pour leurs propres intérêts tactiques. Mais le point révélateur, c’est qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale ces mêmes puissances occidentales ont commencé à recruter des agents nazis, des espions et des assassins pour les aider dans la guerre froide contre l’Union Soviétique. Aujourd’hui, l’Ukraine et les pays Baltes contribuent de nouveau au subterfuge contre la Russie, comme ils l’avaient fait lors de l’opération nazie Barbarossa; en revanche, cette fois ils ont été recrutés par la CIA, le MI6 et l’Otan créée en 1949 et menée par les États-Unis.
Aujourd’hui, la Russie ne professe plus le bolchevisme comme une idéologie d’État. Et nous ne prédisons pas ici que les manœuvres actuelles de l’Otan autour du territoire russe, menées par les États-Unis, vont nous précipiter dans une attaque par tous les moyens militaires. C’est à côté de la question principale. Le fait est que la Russie se présente toujours comme un rival problématique à l’hégémonie américaine et occidentale. On voit Moscou sous Vladimir Poutine comme un obstacle à la domination capitaliste de l’Asie et du reste du monde menée par les États-Unis. L’insistance intransigeante de la Russie pour le respect du droit international est un obstacle ennuyeux à la prétention exceptionnelle de Washington de recourir à la force militaire quand et partout où il veut soutenir sa dangereuse hégémonie globale. Le soutien populaire international à Poutine, le considérant comme un homme d’État mondialement respecté, ainsi que le mépris répandu envers les dirigeants américains, est encore une autre source de dépit intense à Washington. Ceci est le contexte dans lequel nous devrions évaluer l’hostilité dirigée par les États-Unis contre la Russie et les signaux de guerre latents qui émanent de l’Opération Atlantic Resolve.
Les résonances historiques au cours du dernier siècle sont les mêmes aujourd’hui. L’opération Barbarossa et l’opération Atlantic Resolve font partie du même continuum de l’agression occidentale contre la Russie. La Russie est considérée comme un contrepoids à l’hégémonie occidentale, et doit donc être supprimée.
Pour la Russie, l’encerclement militaire menaçant de l’opération Atlantic Resolve a une profonde et mauvaise résonance avec le passé, et pour une bonne raison. L’opération Barbarossa – il y a seulement 74 ans – est gravée dans la conscience russe à travers d’immenses souffrances humaines. La Russie était alors sur le point de disparaître et ne fut sauvée que par le sacrifice héroïque de millions de ses habitants; aucune nation ne permettrait jamais à un tel danger de resurgir à sa porte.
L’Occident moderne n’a jamais souffert dans son histoire au point où le peuple Russe a souffert; et donc beaucoup de gens en Occident, en particulier les dirigeants choyés de l’élite, n’ont aucune idée de la résolution des Russes à défendre leur patrie. La ville natale de Vladimir Poutine est Saint-Pétersbourg, la ville où un million de personnes sont mortes du siège nazi.
Lorsque les dirigeants occidentaux parlent à perdre haleine de défense de la liberté et clouent les Russes au pilori avec désinvolture, les accusant de paranoïa, leur ignorance abominablement crasse de l’Histoire est juste une raison de plus de tirer la sonnette d’alarme.
La Russie ne peut que percevoir le continuum de l’agression.
Traduit par jefke, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone