Nous voulons exprimer par là l'extraordinaire complexité politique de la situation de Trump, née de l'ampleur et de la puissance de sa victoire, - paradoxe si l'on veut, puisque ampleur et puissance produisent une complexité supplémentaire pour le bénéficiaire, - mais une situation où la victoire d'une part, son ampleur et sa puissance d'autre part ne répondent pas nécessairement à une seule logique. Diverses forces se sont manifestées dès hier dans leur intention de se situer par rapport à l'événement « Trump-devenu-président », éventuellement pour le récupérer, pour l'influencer, pour le manipuler, pour le renforcer ou au contraire pour le réduire, voire pour le combattre à mort. Cela, c'est la complexité politique dont nous parlons, et dont nous croyons que les qualités de négociateur et d'arrangeur de Trump-businessman seront bien insuffisantes pour la maîtriser et la dénouer à son avantage, ou à l'avantage d'une éventuelle politique à conduire.
Un aspect ultime et peut-être le plus important du constat de cette complexité dont nous parlons est que, très probablement, Trump n'a sans doute pas une idée précise, sinon la moindre idée de cette « éventuelle politique à conduire », ce qui n'est pas nécessairement un désavantage car ainsi l'esprit n'est-il pas enfermé par la raison du projet. Cette complexité est un obstacle terrible qu'il faut tenter de négocier très vite, c'est-à-dire peut-être en ne négociant pas pour éviter l'enlisement. C'est pourquoi, au terme, qui doit s'avérer être très court, la seule chance pour Trump d'éviter l'enlisement est de faire jouer, s'il l'a réellement, l'autre aspect de ses qualités de businessman qui s'oppose à la lenteur nécessaire des qualités de négociateur et d'arrangeur, c'est-à-dire décider très vite et aller encore plus vite.
Maintenant, voyons rapidement les forces qui se sont manifestées hier et qui vont s'exercer sur Trump, avec conséquences...
D'abord l'événement « la-victoire-de-Trump » est aussi présenté comme une victoire du parti républicain, qui verrouille le Congrès dans son entièreté (Sénat et Chambre) grâce à la dynamique-Trump. C'est complètement faux parce que ces deux « victoires » sont si différentes qu'elles en sont presque antagonistes, même si l'une (le Congrès) doit tout à l'autre (Trump), - mais la gratitude n'est pas une marchandise répandue dans ce monde-là. En fait, le principal adversaire politique de Trump, aujourd'hui, c'est Paul Ryan, le Speaker (président) républicain de la Chambre et « homme fort » du parti. (Ryan venu à ce poste par raccroc et en marche arrière, ce qui est une bonne indication de l'état réel de délabrement du parti républicain et de la réelle « force », du point de vue du caractère et des convictions, de l'« homme fort ».)
Ryan, c'est le chef de la faction de l'establishment la plus dangereuse pour Trump : la faction fausse-amie, représentant le parti républicain classique, l'aile prétendument « de droite » du véritable « parti unique » de l'establishment, donc partie intégrante du Système. Du point de vue stratégique (l'événement « la-victoire-de-Trump »), Trump n'aura pas de plus grand ennemi que le faux-ami républicain, avec Paul Ryan comme délégué principal.
En quelques mots, on dira que le parti républicain est ontologiquement ennemi d'une attaque contre le libre-échange et la globalisation ; ennemi d'une attaque par un désengagement passif (passant par le rétablissement des relations avec la Russie) de la politique guerrière d'un type qu'on pourrait dire neocon-Xanax (neocon sans trop de bruit) ; ennemi d'une tentative de réforme dans le sens d'une régulation stricte de tout l'appareil d'influence et de corruption (lobbies et le reste) qui a été annoncé par Trump. En un mot, on répétera que le parti républicain est le représentant du Système posant à l'ami (au « faux-ami ») de Trump pour pouvoir mieux saboter tous les aspects novateurs de sa politique.
Dans cette tâche exaltante, le parti républicain est soutenu, encouragé, salué par les amis extérieurs, notamment l'Union Européenne qui s'est manifestée par une belle lettre des pieds-nickelés Juncker et Tusk saluant la victoire de Trump à condition que ce soit une victoire de la démocratie, de « nos valeurs communes », du libre-échange, de l'hyperlibéralisme, de la globalisation et ainsi de suite. Démarche classique de récupération... Juncker-Tusk proposent un sommet au plus vite UE-Trump et l'on espère, pour la bonne marche de sa future présidence, que Trump choisira d'abord un sommet avec Poutine (avant même la prestation de serment, espère Alexander Mercouris), qui devrait avoir commencé à se négocier entre les Russes et l'équipe Trump.
Les deux avaient déjà établi des contacts pendant la campagne, et d'autre part comme Trump est un « agent de Poutine » on peut raisonnablement envisager qu'il donnera la priorité à un sommet avec son « officier-traitant » ; cela serait un « très mauvais signal » comme l'on dit, pour les pieds-nickelés Juncker-Tusk. Si Trump ne fait pas ce choix, il s'agira d'une indication défavorable pour l'orientation de l'événement « Trump-devenu-président », presque une amorce de rupture avec l'événement « la-victoire-de-Trump ».
Le parti démocrate institutionnel est KO. Cela n'a aucune signification fondamentale dans le rapport des forces, puisqu'il est KO au profit des républicains et que les deux font partie du même « parti unique » du Système. Par contre, l'aile marchante du parti, la coterie sociétale, est en pleine mobilisation anti-Trump (l'événement « Trump-devenu-président ») et en position de déni complet de la signification de sa victoire (l'événement « la-victoire-de-Trump »).
On ne dira pas de cette coterie qu'elle est « la gauche » du parti démocrate, sous-entendant avec l'esprit centriste propre aux « experts » rétribués du domaine raisonnant avec un demi-siècle de retard qu'il y a une partie plus « raisonnable » des démocrates ; on ne le dira pas parce que ce parti démocrate US a évolué à l'image du PS français. (Les Français toujours en avance !) Après abandon complet de toute politique sociale, le parti démocrate US est en complet accord avec la globalisation, donc avec le Système, avec comme politique de survie de l'étiquette « gauche » l'exploitation par idéologisation du volet sociétal qui convient parfaitement à la globalisation-Système : féminisme, antiracisme, minorités sociétales en marche, attaque massive contre la souveraineté et l'identité.
Tout cela est effectivement en marche : manifestations estudiantines et autres anti-Trumpdans nombre de villes US sous l'inspiration de type-hashtag #NotMyPresident. Il y a surtout une coalition black, post-Obama, qui se met en place sous le label « Whitewash ». Le Monde vous explique aimablement de quoi il s'agit, en quelques lignes extrêmement émouvantes (le « cri du cœur » nous a émus aux larmes) :
Des personnalités éminentes, Africaines-Américaines comme il se doit, sont à la manœuvre, type-philosophe de plateau-TV, Whoopie Goldberg et Van Jones. (Ce dernier, Van Jones, le « un chroniqueur de CNN » selon Le Monde qui a du mal à identifier ce qui compte, ancien ami d'Obama qui a démissionné de son poste auprès du président parce qu'il le jugeait trop tiède, ambitionne de devenir le leader noir post-Obama, c'est-à-dire une sorte de Martin Luther King postmoderne en situation de parfaite trahison du modèle.)
Tout ce petit monde s'agite selon la thèse que l'événement « la-victoire-de-Trump » est le fait d'une minorité blanche (whitewash) qui fait partie du passé, - même si elle suscite de telles victoires largement majoritaires et qu'elle utilise contre la presse-Système archaïque l'outil fondamental de communication de la modernité que sont les « réseaux sociaux » pour l'emporter. (Pépé Escobar sur ce thème, dans une interview à RT :
La logique n'est pas le fort des agitateurs politiques du type-sociétal, qui sont comme les autres, plus que les autres à la chasse aux privilèges-Système ; quant à leur doctrine, elle a été bien résumée par l'actrice et réalisatrice Lena Dunham et son père Carroll Dunham, exprimant leur soutien à « l'extinction des hommes blancs... L'extinction des hommes blancs n'est pas la fin des hommes, c'est une évolution des hommes vers des hommes meilleurs». (On attend que les Dunham passent à l'acte doctrinal par un suicide familial, puisque blancs tous deux.) On comprend bien que tout cela s'agite dans le sens coloré qu'on imagine, et on peut également imaginer que les premiers chèques-standard, type-« révolution de couleur », sont arrivés aux comptes adéquats, ornés de la signature de l'inamovible et increvable Soros.
... Car la conclusion renvoie à nouveau à Patton et à sa tactique fondée sur la vitesse de décision et l'extrême rapidité d'exécution. On y ajoute la surprise, en attaquant là où l'adversaire ne vous attend pas. C'est là qu'on en arrive à à Mr. Gorbatchev Goes To Washington. En effet, toutes ces agitations se font autour du Système et en s'appuyant sur le Système, c'est-à-dire ce cœur énorme de Washington, entre bureaucraties et centres d'influences, lobbies, pouvoirs autonomes, think tanks et centres de communication (RP et pub), etc. Trump se fera vraiment Patton si, ayant pris les diverses précautions qu'on a envisagées, il s'attaque effectivement, très-très vite, à la forteresse washingtonienne selon la méthode gorbatchévienne.
Une telle tactique conduit à prendre tous ses adversaires à contrepied, en les ignorant ; le contrepied dans ce cas, c'est ajouter le mouvement-roi du rugby au « faire aïkido » de l'art martial ; décider très-très vite d'agir très-très vite là où ne vous attend pas du tout et par conséquent pas aussi vite, et le contre-pied est accompli. C'est un programme colossal, d'une audace extrême, au point qu'on peut se demander si l'on ne décrit pas un idéal d'action politique pour temps de la Grande Crise impossible à réaliser... It's up to The-Donald, désormais : on verra bien s'il comprend l'ampleur de l'enjeu en ne cédant pas aux sirènes de la récupération ; ainsi verra-t-on bien, également, si l'insurrection du 8 décembre est oui ou non une révolution, c'est-à-dire si elle est décisivement antiSystème ou seulement une victoire d'étape, encore trop courte pour espérer conclure à partir d'elle. Tous nos vœux pour les heureux élus...
Traduction partielle : SOTT