L'Arabie saoudite reconnaît que Khashoggi a été démembré vivant par un médecin qui chantait dans le consulat saoudien à Istanbul
L'Arabie saoudite a reconnu samedi que le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, dont la disparition depuis le 2 octobre avait eu un retentissement mondial, avait été tué à l'intérieur du consulat saoudien à Istanbul.
La confirmation de la mort de Khashoggi a été faite dans les premières heures de samedi par l'agence de presse officielle saoudienne, SPA.
"Les discussions entre Jamal Khashoggi et ceux qu'il a rencontrés au consulat du royaume à Istanbul (...) ont débouché sur une rixe, ce qui a conduit à sa mort", a déclaré l'agence, citant le parquet.
- "Une rixe" -
Le procureur général saoudien Cheikh al-Mojeb a publié un communiqué sur le déroulement des faits. "Les discussions qui ont eu lieu entre lui et les personnes qui l'ont reçu au consulat saoudien à Istanbul ont débouché sur une bagarre et sur une rixe à coups de poing avec le citoyen Jamal Khashoggi, ce qui a conduit à sa mort, que son âme repose en paix", a déclaré le procureur.
Le directeur d'un centre de réflexion pro-saoudien, considéré comme proche de la direction du royaume, a donné une autre version de la cause du décès. "Khashoggi est mort d'un étranglement au cours d'une altercation physique, pas d'une rixe à coups de poings", a déclaré cet expert, Ali Shihabi, disant s'appuyer sur une source saoudienne haut placée.
Simultanément, le royaume a annoncé la destitution d'un haut responsable du renseignement saoudien, Ahmad al-Assiri, et celle d'un important conseiller à la cour royale, Saoud al-Qahtani.
Ces hommes sont deux proches collaborateurs du prince héritier Mohammed ben Salmane, surnommé MBS, sur lequel la pression était montée ces derniers jours à propos de l'affaire Khashoggi.
La grande proximité des deux personnages limogés avec le prince héritier a été soulignée par un analyste du Baker Institute de l'université de Rice, aux Etats-Unis. "Renvoyer Saoud al-Qahtani et Ahmad al-Assiri, c'est aller aussi près de MBS qu'il est possible d'aller", a relevé cet analyste, Kristian Ulrichsen.
"Intéressant de voir si ces mesures s'avèrent suffisantes. Si le goutte à goutte de détails supplémentaires (sur la mort de Khashoggi) continue, il n'y a plus de tampon pour protéger MBS", a-t-il estimé.
Ryad a par ailleurs annoncé que 18 personnes, toutes de nationalité saoudienne, avaient été arrêtées dans le cadre de l'enquête.
Le roi Salmane d'Arabie saoudite a également ordonné la création d'une commission ministérielle présidée par le prince héritier pour restructurer le service saoudien du renseignement, ont annoncé les médias officiels.
- Crise internationale -
La disparition mystérieuse de Khashoggi, qui était entré le 2 octobre au consulat d'Istanbul pour une démarche administrative et n'était pas reparu depuis, a suscité une crise internationale, rythmée notamment par les accusations de responsables turcs affirmant sous le couvert de l'anonymat que le journaliste avait été tué sur ordre au consulat, alors que la direction saoudienne niait toute implication.
Critique envers le prince héritier, Jamal Khashoggi vivait en exil aux Etats-Unis depuis 2017.
La confirmation de la mort du journaliste à Istanbul est intervenue peu après une nouvelle conversation téléphonique sur l'affaire Khashoggi entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et le roi Salmane.
Les deux dirigeants "ont souligné l'importance de continuer à travailler ensemble en complète coopération", selon une source à la présidence turque parlant sous le couvert de l'anonymat.
Les enquêteurs turcs ont poursuivi leurs investigations vendredi, fouillant notamment une vaste forêt proche d'Istanbul.
La reconnaissance de la mort de Khashoggi par Ryad est intervenue alors que l'administration du président américain Donald Trump avait adressé vendredi une nouvelle mise en garde à Ryad, évoquant de possibles sanctions.
- "Un pas très important" -
Après l'annonce saoudienne, répondant à un journaliste qui lui demandait s'il jugeait la version de Ryad "crédible", M. Trump a répondu: "Oui, oui". "Encore une fois, il est tôt, nous n'avons pas fini notre évaluation, ou enquête, mais je pense qu'il s'agit d'un pas très important", a-t-il dit.
Donald Trump avait admis pour la première fois jeudi que le journaliste était très probablement mort, menaçant l'Arabie saoudite de "très graves" conséquences.
"Nous sommes attristés d'apprendre que la mort de M. Khashoggi a été confirmée", a déclaré la porte-parole de la Maison Blanche, Sarah Sanders.
Les Etats-Unis notent "que l'enquête sur le sort de Jamal Khashoggi progresse et que (le royaume saoudien) a entrepris des actions à l'encontre des suspects qui ont été pour l'instant identifiés", a ajouté la porte-parole.
Les Etats-Unis vont "appeler à ce que justice soit rendue dans les meilleurs délais et de manière transparente, et en accord avec l'état de droit", a dit Mme Sanders.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, s'est déclaré dans un communiqué "profondément troublé" et "souligne la nécessité d'une enquête rapide, approfondie et transparente sur les circonstances du décès".
Des élus américains se sont montrés nettement plus durs que la Maison Blanche après l'annonce saoudienne.
Le sénateur Lindsey Graham, un proche allié de Donald Trump, a mis en doute la crédibilité de Ryad. "Dire que je suis sceptique sur la nouvelle version saoudienne sur M. Khashoggi est un euphémisme", a tweeté le sénateur républicain.
L’aventurisme seul suffit-il à expliquer le comportement de Ben Salman et de son équipe, et le fait qu’il ait assassiné Khashoggi dans l’enceinte de l’ambassade saoudienne à Istanbul au vu et au su de tous ? Ce dernier a-t-il été tué seulement parce qu’il était un journaliste ou un opposant ayant osé critiquer franchement les politiques intérieures et extérieures du Prince héritier ces derniers temps ? Ou bien les motifs du crime sont plus graves que cela pour le commanditaire ? L’assassinat d’un journaliste ou d’un opposant ordinaire au régime saoudien devait-il provoquer un flot de condamnations comme c’est le cas actuellement, ou juste des condamnations d’Amnesty International et autres organisations de défense des droits de l’homme ? Pour y répondre et essayer d’entrevoir une issue à la crise actuelle, il faut revenir au contexte général dans lequel s’est déroulé ce crime ainsi que sur la personnalité de la victime et son rôle, sans oublier les dangers qu’il représentait pour l’équipe qui gouverne actuellement l’Arabie saoudite après son coup d’état.
Une équipe sous haute tension après le coup d’état
Avant l’assassinat de Khashoggi, qui est à tous les points de vue un scandale à « l’ère numérique » caractérisé par des progrès spectaculaires dans les outils de surveillance et d’écoute ainsi que par la vitesse des flux d’information qui naviguent librement par différents supports, le Prince héritier d’Arabie saoudite avait réussi à se forger une image de réformateur chez de nombreuses élites et dans l’opinion publique grâce à une campagne médiatique qui lui a coûté des dizaines de millions de dollars. Cette campagne a mobilisé des personnalités politiques « respectées », des institutions médiatiques « prestigieuses » et de nombreuses entreprises de relations publiques. Seul un petit nombre de journalistes et d’analystes a prêté attention à ce qu’il se passait vraiment dans les coulisses des palais royaux, les prisons du royaume et au Yémen voisin, où le « grand réformateur » menait une guerre d’agression sanglante afin de renforcer son pouvoir.
Mohammed Ben Salman, sous le patronage de son père, a mené un véritable coup d’état qui a changé la nature du régime saoudien et a mis en place une nouvelle légitimité politique basée sur la monopolisation par un seul pôle de la famille royale des rênes du pouvoir et de ses prérogatives, au point que certains observateurs ont parlé de la fin du royaume saoudien et du début du royaume salmanien. Avant le coup d’état, le régime saoudien était en partie multipolaire, avec un groupe de princes influents à la tête des différentes institutions politiques, sécuritaires et militaires de l’Etat. Ils participaient à la prise de décision politique et cela était très important dans le réseau puissant et profond de relations tissées avec les alliés du Royaume. Parmi ceux-ci, il y a des princes qui ont joué un rôle décisif dans la politique extérieure et sécuritaire du Royaume comme Turki Al-Faysal, Mohammed Ben Nayef, Muqrin Ben Abdelaziz et Saoud Al-Faysal. Mais le Prince héritier n’a pas hésité à arrêter un grand nombre de ces princes et les hommes d’affaires qui leur étaient liés, ainsi que des personnalités politiques possédant des liens organiques avec certains anciens pôles du pouvoir. Il les a torturés et humiliés afin d’arracher leur loyauté et mettre la main sur une bonne partie de leur fortune. C’est dans ce cadre qu’est intervenue l’arrestation du Premier ministre libanais Saad Hariri et l’on ne peut comprendre la décision de Khashoggi de quitter l’Arabie saoudite pour se réfugier aux Etats-Unis et commencer à critiquer publiquement la nouvelle équipe au pouvoir que dans ces circonstances. La violence excessive utilisée par cette équipe envers ses adversaires montre qu’elle a peur de ne pas pouvoir mener à terme son coup d’état en vidant les institutions des éléments fidèles aux anciens pôles et en coupant leurs canaux de communication avec des parties occidentales et américaines influentes. Il ne fait aucun doute que Khashoggi incarnait l’un de ces canaux.
Khashoggi et ses nombreux talents
Certains parmi ceux qui avalent consciemment ou inconsciemment le récit que l’Occident tient sur lui-même considèrent que la campagne de condamnation à laquelle on assiste aujourd’hui est « une prise de conscience mondiale » face à cette violation des droits de l’homme les plus élémentaires. Quand ils auront retrouvé leur calme, il se rappelleront forcément les catastrophes que vivent les peuples de notre région à cause des politiques américaines, israéliennes et occidentales soutenues de manière inconditionnelle par une partie de ceux qui font semblant de pleurer Khashoggi, comme le sénateur américain Lindsey Graham et autres ! Jamal n’était pas un simple journaliste ou opposant. Il avait des liens étroits avec le prince Turki Al-Faysal, ancien chef des services de renseignement militaires saoudiens et parrain du djihad afghan contre les Soviets aux côtés de la CIA et des services secrets pakistanais. Ce lien fort entre les deux hommes a perduré après la guerre en Afghanistan et Khashoggi était un des principaux conseillers d’Al-Faysal quand ce dernier a été nommé ambassadeur de son pays en Grande-Bretagne entre 2001 et 2005, puis aux Etats-Unis entre 2005 et 2007. Durant cette période, il s’est distingué comme un des principaux journalistes saoudiens proches des cercles du pouvoir. Il était de ceux qui savaient s’adresser aux élites et à l’opinion publique occidentales avec un langage politique moderne mêlant les grands intérêts stratégiques du régime saoudien et de l’Occident.
Durant sa carrière aux côtés d’Al-Faysal, il a tissé des liens personnels avec des personnes influentes aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Certaines ont révélé ces liens durant la crise actuelle et c’est ce qui a poussé une partie d’entre elles à le décrire comme un homme de confiance à l’intérieur du Royaume. Khashoggi a bien pris garde dans ses prises de position publiques et ses interventions durant les vingt dernières années à soutenir l’alliance avec les Etats-Unis au nom du pragmatisme et de priorités régionales communes, comme la confrontation avec l’Iran et la guerre contre la Syrie. Khashoggi s’est enthousiasmé pour l’opposition syrienne sans aucune réserve. Il a « compris » que DAECH coupe des têtes des soldats syriens. Dans un de ses Tweets, il a considéré qu’il s’agissait d’une « guerre psychologique » et que « ce groupe sait ce qu’il fait ». Ce sont ses liens solides avec l’Occident qui ont effrayé l’équipe au pouvoir, sans oublier son rôle possible de trait d’union entre les opposants à l‘intérieur de la famille royale, qui sont actuellement désemparés. Ces liens expliquent aussi la puissance et l’ampleur de la campagne occidentale de condamnation, soutenue par les forces influentes citées précédemment, car Ben Salman a tué un de leurs « amis ». Mais le Président Donald Trump a d’autres préoccupations.
La recherche d’une porte de sortie
L’embarras dans lequel s’est trouvé Trump après ce crime ne l’a pas empêché de parler avec sa franchise habituelle. Dans sa dernière déclaration, il a annoncé qu’il ne voulait pas prendre ses distances avec l’Arabie saoudite. Dans ses précédents entretiens, il a énuméré les raisons pour lesquels il voulait conserver d’excellents liens, avec en tête les ventes d’armes considérables. Il a fait remarquer à ses opposants que l’annulation de ces ventes pourrait pousser les Saoudiens à se tourner vers la Chine et la Russie, ce qui est un aveu déguisé de la diminution de l’influence des Etats-Unis sur leurs alliés, qu’ils contrôlaient totalement quand l’équilibre mondial des forces le permettait. Cette vérité a été confirmée par la menace saoudienne de chercher d’autres alliés dans un article signé Turki Al-Dakhil, proche des cercles du pouvoir saoudiens.
Des institutions, des entreprises et peut-être des gouvernements occidentaux vont boycotter le « Davos du désert » à Riyad mais est-ce que la Chine, la Russie et les Etats d’Asie du Sud-Est en feront de même ? La compétition économique et stratégique acharnée entre les grandes puissances pour les ressources et les marchés va-t-elle diminuer suite à l’assassinat barbare d’une personnalité politique ? Trump ne croit pas du tout à ce qu’on appelle de manière hypocrite « la diplomatie des droits de l’homme ». Il est convaincu que le monde est une jungle dans laquelle luttent les grandes puissances pour défendre leurs intérêts et il ne trouvera pas de « trésor stratégique » comme Ben Salman, qui est prêt à partager les richesses du Royaume avec les Etats-Unis durant le 21ème siècle contre le maintien de la protection. Il est également prêt à faire fi de tous les principes nationaux et religieux, avec en tête Jérusalem et la Palestine, pour satisfaire les Etats-Unis. Trump ne ménagera donc pas ses efforts pour sortir le Prince héritier de son bourbier actuel et pour que les « liens de travail » perdurent entre eux deux comme si rien ne s’était passé.
Big farce - 18 suspects arrêtés
Les autorités d’Arabie Saoudite ont confirmé samedi la mort du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à l’intérieur du consulat saoudien à Istanbul, ajoutant que 18 personnes ont été arrêtées en lien avec cette affaire, a rapporté l’Agence de presse saoudienne (SPA).
Selon les enquêtes préliminaires menées par le parquet, M. Khashoggi, qui est entré dans le consulat saoudien le 2 octobre, a eu une altercation physique avec des suspects sur place, ce qui aurait mené à sa mort.
Le parquet a promis de poursuivre l’enquête, affirmant que tous ceux impliqués dans cette affaire seraient traduits en justice.
Riyad a rejeté à plusieurs reprises toute implication du royaume dans la disparition du journaliste.
source:http://french.xinhuanet.com/2018-10/20/c_137545783.htm