Dans l’Amazonie brésilienne, les assassinats de protecteurs de la forêt se multiplient
Des assassinats et des opérations policières visent les leaders des populations autochtones et les militants écologistes, alors qu’un vaste plan de déforestation et d’exploitation de l’Amazonie se prépare. Une analyse du sociologue Laurent Delcourt.
Quelques mois après l’épisode estival des incendies de forêt au Brésil, une nouvelle page noire s’est ouverte pour les défenseurs de l’Amazonie et de ses peuples. Le 1er novembre, l’activiste indigène Paulo Polino, membre de la tribu des Guajajara et leader local des Guardiões da floresta (Gardiens de la forêt), un groupe de défense de l’Amazonie, est assassiné au cours d’une altercation avec des trafiquants de bois. Quelques semaines plus tard, deux opérations policières d’envergure sont lancées simultanément. Menées à grand renfort de moyens et de publicité, elles ne visent pas à mettre la main sur le meurtrier du leader indigène, mais ciblent des militants de la cause environnementale.
Le 26 novembre, les locaux de l’ONG Saúde e Alegria, réputée pour l’excellence de son travail auprès des indigènes dans le bassin du fleuve Tapajós, dans l’État du Pará, sont investis par la police civile, qui embarque ordinateurs et documents. Le même jour, quatre volontaires de la Brigada Alter do Chão, une organisation bénévole spécialement créée pour combattre les incendies de forêt auprès des pompiers, sont appréhendés et placés en garde à vue au motif qu’ils auraient eux-mêmes bouté le feu à la forêt [1].
Ces deux opérations font écho aux déclarations du président Jair Bolsonaro qui, en août, avait accusé publiquement les ONG environnementales d’avoir volontairement provoqué nombre de ces incendies pour attirer l’attention et nuire à son gouvernement. Elles signalent aussi qu’un stade de plus a été franchi dans l’offensive menée par les autorités brésiliennes contre les défenseurs de l’environnement et des droits humains.
Ordonnées par un juge issu d’une famille d’exploitants de bois active autrefois dans la région et ouvertement bolsonariste, ces opérations indiquent que le pouvoir ne recule désormais devant rien pour museler, criminaliser et délégitimer, dans l’opinion publique, tous ceux qui s’opposent à son projet pour l’Amazonie : un projet autoritaire d’exploitation de l’immense espace amazonien renouant avec le vieux rêve de conquête et de valorisation de l’Amazonie porté par les généraux brésiliens.
Le 20 septembre 2019, le site d’information indépendant The Intercept a révélé, preuves à l’appui, l’existence d’un vaste plan d’ouverture, d’exploitation et de peuplement de l’une des régions les plus isolées et les mieux préservées de l’Amazonie : un immense territoire appelé Calha Norte, à cheval sur les États de l’Amapá, du Roraima, du Pará et de l’Amazonas.
Discuté dans le plus grand secret, sous la houlette du secrétariat des Affaires stratégiques auprès de la présidence, le projet est ambitieux : achèvement de la route BR-163 pour relier la ville de Santarém dans l’État du Pará à la frontière du Surinam, construction d’un pont sur le fleuve Amazone et d’un nouveau barrage hydroélectrique, élargissement et consolidation des voies navigables, ouverture le long de ces nouveaux axes de pénétration de vastes portions du territoire à l’exploitation minière, agro-forestière ou agro-industrielle, y compris des aires naturelles protégées et des terres indigènes.
Outre leurs ambitions économiques et géostratégiques, les auteurs du projet ne manquent pas de lister les obstacles et risques potentiels susceptibles d’entraver sa réalisation : « campagne globaliste » orchestrée par les ONG environnementalistes internationales pour « relativiser la souveraineté du Brésil sur l’Amazonie », organisations de défense des droits humains, Église catholique militante, organismes publics nationaux en charge de la protection de la forêt et des droits des populations indigènes (Ibama, FUNAI, etc.). Autant de menaces potentielles qu’il s’agit de neutraliser.