Comme en Chine, c’est sur les réseaux sociaux que les premiers signes de l’épidémie de coronavirus en Iran ont commencé à émerger. À la mi-février, des médecins de la ville de Qom ont ainsi rapporté une hausse du nombre de patients atteints de problèmes pulmonaires sévères.
Dans un premier temps, le gouvernement iranien a nié le fait que le virus était arrivé dans le pays. Certains activistes conservateurs ont ainsi dénoncé des “rumeurs” à ce sujet, affirmant qu’elles faisaient partie d’un complot de l’opposition destiné à décourager les gens de voter le 21 février, lors du premier tour des élections législatives.
Le 19 février, le ministère de la Santé a toutefois annoncé pour la première fois que deux personnes étaient atteintes du Covid-19 en Iran, à Qom, avant d’indiquer qu’elles étaient mortes un peu plus tard dans la journée. Le bilan du nombre de personnes décédées et infectées par le virus a ensuite augmenté rapidement.
Des chiffres remis en cause par des responsables politiques locaux
Mais très vite, des officiels locaux ont commencé à questionner les chiffres du gouvernement.
Le 28 février, Gholam Ali Jafarzadeh Iman Abadi, un parlementaire de Rasht, la capitale de la province du Guilan (nord-ouest), a indiqué que le nombre de victimes du coronavirus enterrées dans trois des cimetières de la ville était “beaucoup plus élevé que ce qui avait été rapporté” : “Les statistiques présentées jusqu’à présent ne sont pas vraies. Les cimetières ne mentent pas.”
Le 9 mars, Aliakbar Motezaei, le gouverneur du district de Kachan, dans la province d'Ispahan (centre), a déclaré qu’il y avait eu 1056 personnes infectées par le Covid-19 et 88 morts depuis le début de l’épidémie dans la ville de Kachan (où vivent 400 000 habitants environ) et dans l’une de ses banlieues. Les chiffres officiels ne faisaient pourtant état que de 601 cas de personnes infectées et deux morts dans toute la province, où vivent 5 millions de personnes.
De son côté, le 10 mars, Farhad Zahed, le vice-président du conseil municipal de Rasht, a demandé au gouvernement : “Pourquoi cachez-vous la réalité ? Pour éviter la panique ? Non, il faut dire aux gens ce qu’il se passe réellement, pour qu’ils prennent les choses au sérieux.”

Par ailleurs, le fait qu’au moins 23 députés aient contracté le virus - soit 8% des députés - a également suscité des interrogations quant au taux réel de personnes infectées dans la population générale.
La rédaction des Observateurs de France 24 a interrogé plusieurs Iraniens travaillant dans le secteur de la santé. Tous ont demandé à conserver l’anonymat, puisque le personnel médical local n’a pas le droit de parler aux médias concernant l’épidémie de Covid-19. Eux aussi remettent en cause les chiffres du gouvernement.
“Les hôpitaux dissimulent des décès dus au Covid-19, en mentant dans leurs comptes rendus”
Il a fallu attendre le 2 mars pour que le gouvernement annonce le premier décès dans notre ville. Pourtant, nous avons eu des décès de patients atteints du coronavirus dès la mi-février dans notre ville. Rien que dans notre hôpital, au moins huit personnes sont mortes de cela au cours des deux dernières semaines.
Les hôpitaux dissimulent des décès dus au Covid-19, en mentant dans leurs comptes rendus. Dans notre hôpital, nos responsables nous ont dit d’indiquer “pneumonie”, “tuberculose” ou encore “arrêt cardiaque” comme causes des décès liés au coronavirus.
Les deux hôpitaux de notre ville sont remplis de patients suspectés d’avoir le Covid-19 ou de cas confirmés. Mais selon les rapports officiels, tout va bien ici.
“Les médecins ne peuvent pas écrire Covid-19 dans leurs comptes rendus, même s’ils sont sûrs que c’est la cause du décès”
À chaque fois qu’un patient meurt en Iran, le médecin l’ayant suivi rédige un compte-rendu. Mais le ministère de la Santé a demandé aux hôpitaux de mentionner le Covid-19 dans les comptes rendus uniquement si le test de dépistage du Covid-19 a été positif. Sauf qu’il y a une pénurie de ces tests dans les hôpitaux iraniens. Donc si un hôpital ne peut pas faire le dépistage et fait seulement un scanner, le médecin ne peut pas mentionner le coronavirus dans son rapport.
Techniquement, les médecins ne mentent pas dans leurs rapports, mais ceux-ci sont incomplets. Par exemple, ils indiquent “SDRA” (Syndrome de détresse respiratoire aiguë), “embolie pulmonaire” ou “inflammation pulmonaire” comme causes du décès. Or qu’est-ce qui a causé le SDRA ou l’embolie pulmonaire ? Le Covid-19. Ils ne peuvent pas écrire “Covid-19” dans leurs comptes rendus, même s’ils sont sûrs que c’est la cause du décès en raison des symptômes.
Les hôpitaux envoient ensuite leurs comptes rendus au ministère de la Santé, qui est la seule institution ayant accès aux chiffres à l’échelle nationale. C’est pour cela que le bilan officiel du nombre de décès liés au Covid-19 est bien plus bas que la réalité.
Les officiels iraniens ont expliqué que leurs médecins utilisaient actuellement les tests de Covid-19 fournis par la Chine, la Russie, l’Organisation mondiale de la santé et l’Unicef, mais que des tests fabriqués en Iran seraient disponibles dès le 20 mars.
Le député Gholam Ali Jafarzadeh Iman Habadi a déclaré le 7 mars qu’aucun test pour dépister le Covid-19 n’était disponible dans sa ville, Rasht.
"L’hôpital ne disposait pas de tests de dépistage"
“Lorsque deux personnes de ma famille sont tombées malades, nous sommes allés à l’hôpital. Au bout de quatre jours, les médecins nous ont dit qu’ils avaient le coronavirus. L’hôpital ne disposait pas de tests de dépistage mais le diagnostic avait été fait à partir des résultats de scanners [le scanner permet la tomodensitométrie, principal outil de dépistage du coronavirus, NDLR]
Quand les personnes de ma famille sont mortes, nous n’avons pas été autorisés à participer à l’enterrement, pour des raisons de sécurité. Les corps ont été remis aux Gardiens de la révolution et à des représentants de la santé publique. Tout ce que nous savons, c’est qu’ils ont creusé un trou de 3 mètres de profondeur. Ils ont mis des blocs de ciment pour séparer les corps, mais cela reste une fosse commune…”

“Nous avons enterré plus de 10 victimes du coronavirus”
Il existe des règles strictes concernant l’enterrement des personnes ayant eu des maladies infectieuses. Nous sommes censés utiliser des protections spéciales, mais nous n’en avons pas. Donc notre personnel enterre les corps en utilisant des masques chirurgicaux normaux et des gants en latex.
Chaque enterrement est un casse-tête pour nos équipes car les locaux ne veulent pas que les corps soient enterrés dans le cimetière de leur ville ou près de leurs maisons. Ils causent beaucoup de problèmes à chaque enterrement.
Nous avons demandé aux autorités d’ordonner aux gens de rester chez eux, de même que la fermeture des magasins qui ne sont pas indispensables, mais ça leur est égal. Tout ce qu’elles font, c’est diffuser des conseils stupides sur les chaînes de télévision locales : par exemple, elles montrent comment fabriquer des masques à partir de tissu, ce qui est complètement inutile.
Selon le gouvernement iranien, 21 médecins et infirmiers iraniens sont déjà morts du coronavirus, dont onze dans la province du Guilan.
Article écrit par Ershad Alijani.