RDC: un conflit et des enjeux économiques dont les sources n’ont jamais été appréhendées par la communauté internationale
Catherine Roman pour WikiStrike
De l’ère colonialiste en passant par la fin de la guerre froide, le continent africain subit les
aléas de l’histoire. Cette affirmation trouve tout son sens dans les difficultés que rencontre
actuellement la République Démocratique du Congo où diverses forces internationales
s’opposent depuis des décennies, le tout sur fond de richesses naturelles quasi inégalables
et de position géostratégique.
I – Le génocide rwandais et l’extension du conflit à la République
Démocratique du Congo
Aujourd’hui, la RDC accuse le Rwanda de soutenir une rébellion majoritairement Tutsi qui a
repris les armes fin 2021 et de combattre à ses côtés, ce que Kigali dément. Kigali accuse de
son côté l’armée congolaise de collusion avec une rébellion Hutu rwandaise implantée dans
l’est de la RDC depuis le génocide de 1994 au Rwanda.
Le 27 janvier 2023, le Président rwandais, Paul Kagame, a déclaré que « la menace que fait
peser sur notre sécurité l’activité d’un groupe imprégné de l’idéologie génocidaire comme
les FDLR (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda) est clairement susceptible de nous
amener à intervenir en territoire congolais, sans excuses ni préavis ». Il est à noter que Paul
Kagame ne dit pas que l’armée rwandaise a occupé le Kivu pendant cinq ans entre 1998 et
2003 et que pendant cette période, les FDLR n’ont pas été éradiquées.
La source de la crise prévalant dans le Kivu en RDC se trouve bel et bien au Rwanda et
remonte aux années 90. Mais l’histoire du génocide rwandais nous est présentée comme si
les victimes étaient d’un seul camp, à savoir des Tutsi, et les bourreaux de l’autre, à savoir
des Hutu. Or ce schéma est simpliste.
Le génocide des Tutsi du Rwanda est une réalité indéniable mais ne semble être que la partie
visible de l’iceberg du génocide rwandais, il aurait été jugé comme le prix fort à payer par
Museveni et Kagame. La « guerre de libération régionale » chère aux Présidents Museveni (Ouganda) et Kagame (Rwanda) est autrement plus ambitieuse avec la prétention qu’il existe
« un peuple nilotique » dans la Grande Afrique de l’Est réputée allemande (en référence au
«Traité de l’éternelle amitié » que Karl Peters proposa et qui s’étendrait de l’Afrique du Sud
au Caire en Egypte, conception qui a la faveur des USA et des Britanniques). Museveni
partage les terres africaines entre Anglais et Américains, à l’instar du partage des mêmes
terres entre les Français, les Anglais et les Allemands en 1885.
Il faudra donc élargir ce créneau en assimilant les Hutu aux Bantous et les Tutsi aux
Nilotiques en vue de mettre en place un schéma socioculturel pratiquement sur toute
l’Afrique noire, un schéma aisément manipulable dans les dix pays à fédérer sous une entité
solidement ancrée sur le modèle anglo-américain.
Selon cette analyse, cette guerre devait libérer tous les Tutsi de la région étiquetés
globalement et idéologiquement de « Nilotiques » ayant pour vocation d’assujettir les Hutu
globalement et idéologiquement étiquetés «Bantous ». A ce titre, l’extermination
systématique des Hutu a été planifiée, Hutu qualifiés par le duo Kagame / Museveni de
« ennemis régionaux » et d’ »obstacles majeurs » à la poursuite de la guerre de libération
régionale sur fond de rivalités entre Anglais, Américains et Français. L’extermination des
Hutu en toute impunité n’était possible que précédée d’une guerre civile permettant au FPR
(Front Patriotique Rwandais) de contourner le traité de paix d’Arusha et l’option pour une
solution politique négociée, toutes les deux étant en réalité des simulacres au service du
Rwanda considéré comme un tremplin des opérations à venir en RDC, Burundi, Tanzanie,
Kenya et Soudan.
Au titre de la République Démocratique du Congo, concoctés par Paul Kagame, les plans
d’attaque et démantèlement des camps de réfugiés Hutu en RDC ont été présentés aux USA
pour approbation et les responsables congolais tentés de s’opposer aux plans de Kigali et de
ses alliés ont été menacés et ont risqué de se faire assassiner.
Laurent Désiré Kabila sera notamment assassiné après avoir compris et rejeté la stratégie de
Museveni / Kagame.
II – Une dette odieuse et une attitude occidentale de néocolonialisme qui
perdure
Il faut remonter à l’occupation coloniale belge (1908-1960) pour trouver les premiers vols
massifs de terres aux communautés tout le long du fleuve Congo pour établir des plantations
de palmiers, vol des terres dont le scandale de Feronia Inc est l’exemple le plus criant.
Or, cette attitude néocolonialiste a perduré avec l’assassinat du père de l’indépendance
congolaise, Patrice Lumumba, qui n’était pas assez docile aux yeux des grandes puissances,
Belgique et Etats-Unis en tête. Il a été tué quelques mois après l’indépendance, en janvier
1961. En 1965, l’un des investigateurs de cette reprise en main, Mobutu Sese Seko, prend le
pouvoir suite à un coup d’Etat. Il imposera une dictature redoutable pendant plus de trente
ans, avec la bénédiction des Occidentaux, dans un contexte de la guerre froide. Entre
l’Angola soutenu par Cuba et le Congo-Brazzaville marxiste dans les années 70, le Congo de
Mobutu représente pour eux un allié stratégique face au bloc soviétique. L’aide « au
développement » et les prêts au pays explosent, peu importe l’usage qui en est fait. La dette
de la RDC et la fortune de Mobutu explosent également simultanément. Le stock de dette
passe de 32 à 300 millions de dollars entre 1965 et 1970, à près de 5 milliards en 1980 et à
environ 13 milliards en 1998. Au début des années 90, après la chute du mur de Berlin,
Mobutu Sese Seko perd provisoirement un peu de son intérêt géostratégique. La lente
agonie du régime commence et il est renversé par Laurent-Désiré Kabila en mai 1997. Ce
dernier assassiné, sont fils Joseph le remplace en 2001 jusqu’en 2019.
A ce jour, Mobutu Sese Seko aurait détourné 4 milliards de dollars sur des comptes
personnels et aurait facilité l’enrichissement de ses proches.
Face à la dépendance à « l’aide internationale » et dans le cadre de l’allégement de la dette
de la RDC, le gouvernement congolais a fait le choix de se plier aux injonctions de ses
bailleurs de fonds, réunis au sein des Institutions Financières Internationales (IFI) et du Club
de Paris (groupe informel réunissant 19 riches pays créanciers). Le prix de cette docilité est
élevé et a conduit la RDC à renoncer à sa souveraineté et à s’engager à suivre à la lettre les
réformes structurelles dictées par les IFI (Banque Mondiale, FMI) notamment dans le
Document Stratégique de Croissance et de Réduction de la Pauvreté (DSCRP). A ce titre, le
gouvernement de la RDC doit œuvrer pour le bien-être des transnationales en accélérant le
bradage de ses ressources naturelles, en privatisant ses secteurs stratégiques, en supprimant
des milliers d’emplois,…et en encourageant l’élimination de la protection sociale.
En réalité, on peut interpréter l’IPPTE (Initiative des Pays Pauvres Très Endettés) dans le cas
de la République Démocratique du Congo comme un jeu d’écritures qui permet surtout aux
créanciers d’effacer les créances insolvables et de gommer les traces d’une dette que chacun
s’accorde à qualifier d’odieuse au titre de :
- Absence de consentement : le peuple congolais n’a pas eu son mot à dire
La dette de la RDC provient très largement de la période de Mobutu et des arriérés
de retard issus des années d’interruption de paiements. Le régime de Mobutu a été
despotique. Il était fondé sur la corruption combinée avec la terreur engendrant de
nombreuses violations des droits humains et la traque de toute opposition politique,
tout mouvement contestataire
- Absence de bénéfice : la dette n’a pas profité au peuple congolais
L’histoire du règne de Mobutu Sese Seko se confond largement avec celle du pillage
des ressources de la RDC avec un système de corruption institutionnalisée et qui
aboutit notamment au détournement de revenus annuels d’exportations de cuivre et
de cobalt détenus par des entreprises d’Etat. Dans les années 70, Mobutu endette
massivement son pays et les grands pays industrialisés se lancent dans des grands
projets d’investissements qui ne répondent guère aux besoins de la population dont
certains ont même été fictifs.
Dès 1979, suite au rapport d’Erwin Blumenthal, les principaux bailleurs de fonds du
régime, très liés au FMI, avaient officiellement connaissance des pratiques
frauduleuses et du risque qu’ils encouraient en continuant à prêter au régime de
Mobutu. La poursuite de leur politique de prêts résulte donc de leurs intérêts et non
de ceux du peuple Congolais.
Cette dette « odieuse » remplit donc bien les critères édictés par le juriste Alexander Sack en
1927 : « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les
intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui
le combat, ect…cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier ….Cette dette
n’est pas obligatoire pour la nation, c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir
qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir ».
III- Quelles solutions possibles apportées aux maux auxquels la RDC fait face
?
Un sommet réuni le 23 novembre 2022 à Luanda (Angola) avait décidé d’un cessez-le-feu à
partir du 25 novembre, suivi deux jours plus tard du retrait du M23 (pour Mouvement du 23
mars composé principalement de militaires Tutsi d’origine congolaise liés au Rwanda) des
zones conquises depuis plusieurs mois du Nord-Kivu. Or, le Rwanda accuse la République
Démocratique du Congo d’abandonner l’accord alors que la RDC déplore que les rebelles du
M23 et les autorités rwandaises qui le soutiennent n’aient une fois de plus pas respecté
leurs engagements. Cet accord de cessez-le-feu devrait être appliqué par les deux parties.
La force régionale envoyée par la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) pour combattre les
groupes armés du Congo ne fait pas aussi l’unanimité et une partie de la population de la
RDC demande leur retrait argumentant que seules les Forces Armées de la République
Démocratique du Congo (FARDC) resteraient les seules forces de défense du peuple
congolais. La force régionale de l’EAC a été déployée en décembre 2022 et a été placée sous
commandement kenyan. Les forces régionales devraient œuvrer à la résolution du conflit
sans arrière pensée géostratégique et en accord avec les besoins de la population locale.
Dès octobre 2021, le chef de l’Etat actuel de RDC, Félix Tshisekedi a sonné l’alerte contre les
discours de haine, discours de haine qui sont tenus par des extrémistes qui se trouvent en
partie dans la diaspora en Occident. La paix dans l’Est de la RDC passe également par une
solution au problème des milliers de rebelles rwandais encore disséminés sur le territoire de
cet immense pays et par la résolution du sort des Banyamulenges, communauté ethnique
qui compose la Province du Sud-Kivu et qui sont considérés comme des « éleveurs »
assimilés à des « immigrés » selon l’hypothèse « Hamite » qui opposent les « agriculteurs »
aux « éleveurs ». Toute la région du Kivu a des ressources naturelles que convoitent
plusieurs multinationales qui surfent sur ces questions d’antipathie et de confrontation
récurrentes pour accéder à ces minerais. Ces questions devraient être réglées au bénéfice de
la RDC et non faire le jeux des puissances mondiales.
De même, Paul Kagame se tait sur les intérêts économiques qu’il tire du pillage de la RDC ce
qui pourrait être une des vraies raisons de son agression contre la République Démocratique
du Congo. En effet, en avril 2022, une étude a démontré que 90 % des quantités de Coltan
(principale source de tantale), d’étain et de tungstène exportés par le Rwanda sont
introduits illégalement à partir de la RDC.
Le Président rwandais prend également très hypocritement ses distances avec les « abus »
du M23 mais justifie ensuite ces crimes par les crimes des autres et n’hésite pas à demander
un « arbitre impartial ». Or, mêmes les groupes d’experts de l’ONU ne semblent pas
impartiaux au regard du traitement donné au conflit dans la région par l’ONU.
La révolte contre la Monusco (Mission de l’Organisation des Nations Unis pour la
Stabilisation en République Démocratique du Congo) illustre des sentiments anti-
occidentaux dans la population congolaise qu’elle accuse outre de tirer sur des manifestants
et d’abus sexuels sur la population locale mais également d’être à la solde des intérêts
économiques et stratégiques de l’Occident.
En matière d’impartialité, il ne faut guère compter également sur les pays anglo-saxons et la
France.
La France prend aussi une attitude assez ambiguë : Emmanuel Macron se voit « fustigé » par
Paul Kagame, car la France a demandé au Rwanda de cesser d’intervenir en RDC mais, en
même temps, la coopération des deux pays reste assez intense. Quant aux Américains, ils se
disent maintenant « critiques » envers P. Kagame et ses liens avec le M23. Ils reprochent
même aux services de Paul Kagame d’avoir kidnappé un opposant rwandais. En fait, les USA
veulent éviter que le peuple congolais devienne vraiment anti-américain. Mais l’attitude des
Etats-Unis relève de paroles et au maximum de gestes symboliques.
Actuellement, l’ «establishement » occidental ne semble pas intéressé sérieusement par la
résolution des défis sécuritaires en RDC pour des raisons autant géoéconomique que
géopolitique.
Au titre économique, les banques de développement devraient cesser de financer les
entreprises impliquées dans les plantations à grande échelle et l’agriculture industrielle et
soutenir pleinement les efforts des communautés en lutte contre les entreprises qu’elles ont
financées pour obtenir des réparations et la restitution de leurs terres. Une des réponses à la
charge de la dette serait peut être de suspendre le remboursement de cette dette (avec gel
des intérêts) et de l’auditer pour identifier la part odieuse devant par conséquent être
annulée sans condition. A ceci s’ajoute un examen des politiques prônées par le FMI et la
Banque Mondiale entre autres afin de restaurer la souveraineté nationale et que la
population congolaise parmi la plus pauvre au monde profite des richesses naturelles situées
sur son territoire.
En conclusion, on peut espérer que les élections prévues en 2023 en République
Démocratique du Congo et le développement d’un monde multipolaire permettront à la RDC
de tirer profit de ses immenses richesses naturelles. Comme évoqué ci-dessus, remonter à la
racine des problèmes est un moyen de se projeter dans l’avenir et de ne pas répéter les
errements du passé. La communauté internationale, et notamment les Anglo-saxons qui ont
su habilement exploiter les ambitions démesurées de Museveni et Kagame, doit également
s’interroger sur son rôle dans la tragédie congolaise et son inertie. A travers elle, certains
acteurs devraient se remettre en question et se remémorer leurs devoirs de forces sincères
et non d’agents néocolonialistes. Une réforme profonde des différents instituts de la
machine onusienne et des Institutions Financières Internationales (IFI) devrait à ce titre être
envisagée. Si l’on voit actuellement les pays dits « civilisés » intervenir de moins en moins
ouvertement, cela ne réduit en rien leur influence néfaste dans les conflits qui déstructurent
l’Afrique.
Catherine Roman pour WikiStrike
Principales sources : Dette et Développement (Damien Millet, CADTM), Grain.org,
Observateur continental (Mikhail Garmandly-Egorov), Le Figaro / AFP, Investig’Action (Tony
Busselen), CADTM (Renaud Vivien, Yvonne Ngoyi, Luc Mukendi et Victor Nzuzi),
Memorandum adressé au Conseil de Sécurité des Nations Unis de Partenariat-Intwari, Robin
Delobel