
Sylvio Ferrera avec sa femme Irma
«A 96 ans, maintenant que j'ai un diplôme, je vais travailler», a plaisanté le vieil homme chenu qui, diplôme français ou pas, a fait carrière aux Etats-Unis et a pris à 80 ans une retraite paisible à Portland (Oregon).
Sylvio Ferrera, né en Turquie, venu du Liban et passé par Paris, avait 19 ans quand il est entré en 1935 à l'Institut d'électrotechnique, devenu depuis l'Ecole nationale supérieure d'électrotechnique, d'électronique, d'informatique, d'hydraulique et des télécommunications, l'une des plus grandes écoles d'ingénieurs de France. Il a passé dans la Ville rose «les meilleures années de (sa) vie».
En 1938, le moment venu de passer son diplôme, une malaria ancienne l'a rattrapé et forcé à se rapatrier au Liban. Puis la Seconde Guerre mondiale s'en est mêlée.
Il a travaillé au Liban, en Syrie, à Hong Kong, Taïwan, est revenu en France en 1963, mais «j'avais pas de diplôme, je pouvais rien faire», se rappelle-t-il, l'esprit vif, la voix rocailleuse.
Il s'est installé aux Etats-Unis en 1965 et est entré à la Bonneville Power Administration, qui transporte et vend de l'électricité dans plusieurs Etats américains.
Il a attendu fin 2011 pour revoir Toulouse, à l'instigation de son neveu, le journaliste et écrivain André Bercoff. Il est retourné dans son ancienne école. Quand il a rencontré le directeur, il a commencé par lui reprocher de ne pas reconnaître l'établissement d'autrefois. Il lui a aussi dit combien il regrettait de ne pas avoir son diplôme.
L'école a réparé l'oubli de l'histoire et a déroulé le tapis rouge pour lui vendredi.
La ministre de l'Enseignement supérieur Geneviève Fioraso a fait envoyer un message. La consule générale des Etats-Unis à Paris, Lisa Piascik, a fait le déplacement pour saluer une personnalité qui «symbolise l'Amérique, un homme multiculturel, ambitieux et volontaire qui a su surmonter les obstacles pour réaliser son rêve». «C'est la reconnaissance d'une vie», a dit le lauréat qui ne trouve pas d'ironie à ce tête-à-queue de l'histoire.
Irma, sa femme depuis 44 ans, badine, elle, d'un souci nouveau: «Vous vous rendez compte combien ma vie va être affreuse maintenant qu'il est une célébrité».