L’augmentation récente des attaques peut-être "liée à un déséquilibre de l’écosystème"
L’augmentation du nombre d’attaques de requins à La Réunion est "potentiellement liée à un déséquilibre de l’écosystème" marin, estime Marc Soria, docteur en écologie comportementale marine à l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et chef de la mission scientifique chargé d’étudier les requins dans l’île française.
Deux semaines après le lancement de l’opération de prélèvement de requins, ajoutée désormais au marquage, où en êtes-vous ?
Nous avons marqué 27 requins depuis septembre 2011. Pour le prélèvement, un seul requin a été pêché. Un nouveau protocole est en train d’être mis en place afin que ce soit le comité des pêches de La Réunion qui mène ces opérations. Cela nous permettra d’avancer dans notre programme scientifique de marquage qui n’a été signé et donc validé par l’ensemble des parties que depuis juin. La décision de lancer cette opération de pêche contrarie notre programme. Nous souhaitons toutefois contrôler ces prélèvements pour éviter que les requins déjà marqués soient tués.
L’objectif de marquer 80 requins d’ici la fin de l’année pourra-t-il être tenu alors que vous n’en êtes qu’à 27 ?
Je pense que nous y arriverons car nous allons y mettre les moyens. Actuellement, les pêcheurs ne trouvent pas de requin bouledogue. Il est possible qu’ils soient davantage méfiants ou qu’ils soient plus au large car c’est la période de reproduction. À cela s’ajoutent de mauvaises conditions météo. Par ailleurs, nous avons à faire à des requins nomades et non pas sédentaires d’une zone particulière de l’île, selon nos premières observations. Sur la zone d’études de Saint-Gilles, nous avons vu disparaître nos requins marqués 10-15 jours, voire une quarantaine de jours. Nous en avons retrouvé certains à Trois-Bassins et Saint-Leu, à plusieurs dizaines de kilomètres. S’ils peuvent aller jusque-là, rien ne dit qu’ils ne vont pas plus loin. Toutefois, un requin qui reste longtemps dans une zone ne constitue pas une menace si elle se trouve au large, loin des spots de surf. Il faut faire la distinction entre la présence d’un requin et le danger d’un requin.
Que répondez-vous aux surfeurs qui réclament comme protection une régulation de la population de requins par un prélèvement massif ?
Il faut bien comprendre que l’augmentation récente du nombre d’attaques est potentiellement liée à un déséquilibre de l’écosystème. Si une espèce devient trop abondante, la compétition s’installe et certains prédateurs s’en vont chasser ailleurs ou meurent. Dans un écosystème dégradé - de nombreux signes le montrent à La Réunion -, on observe une augmentation ou une disparition d’espèces, et parfois des comportements aberrants de certaines espèces. Dans ce cas, le retour à l’équilibre peut prendre plusieurs années, voire ne jamais réapparaître si rien n’est fait pour régénérer le système. Un prélèvement massif va à l’inverse de cette régénération car les requins sont les prédateurs les plus hauts dans la chaîne alimentaire et jouent un rôle de régulateur. En Afrique du Sud, la suppression des requins blancs dans une zone où ils étaient jugés dangereux a entraîné la prolifération des otaries, qui a provoqué une forte diminution des populations de poissons, qui n’ont plus été capables de se régénérer. Par cascade non seulement cela a empêché le retour à l’équilibre de l’écosystème mais cela a entraîné la faillite de nombreuses exploitations de pêche
Interview : Idriss Issa (AFP)
Source clicanoo.re