L'Europe au bord du gouffre !
d’un effondrement comparable
à l’Union soviétique
comme le croit George Soros ?
Pour l'investisseur et milliardaire américain, l'euro pourrait détruire l'Union européenne en raison des désavantages compétitifs qu'il fait subir aux pays les plus en difficulté, qui pourraient notamment bénéficier d’une dévaluation massive s’ils n’étaient pas liés à la politique monétaire unique de la BCE.
George Soros est inquiet pour la zone euro. Le milliardaire et investisseur américain compare la crise de la zone euro aux facteurs qui ont conduit à l'effondrement de l'URSS dans les années 1990, rapporte le Wall Street Journal.
"L'Europe est dans une situation similaire à celle de l'Union soviétique, dans la mesure où la crise de l'euro a le potentiel de destruction pour saper les fondements de l'Union européenne", a-t-il déclaré mardi 24 avril. "Au vu de la profondeur de la crise sociale, économique et morale dans laquelle se trouve l'Europe, nous pouvons y observer un processus de désintégration similaire."
Alors qu'il participait à une conférence au Danemark la semaine dernière, le financier américain a déclaré que la crise de la zone euro "n'est pas terminée". Il a ajouté que la crise de l'euro allait empirer. Selon lui, les opérations de refinancement à long terme n’ont fait que retarder le problème, et "cacher une détérioration sous-jacente".
"L'euro porte atteinte à la politique de cohésion de l'Union européenne, et, si ça continue comme ça, l'euro pourrait détruire l'Union Européenne", a-t-il estimé selon Reuters.
Encore plus tôt en avril, il expliquait que l'Union européenne ne pourrait pas survivre à la crise de la dette sans appliquer davantage une politique pragmatique à l'allemande.
"L'Europe devra affronter une longue période de stagnation économique", prédisait George Soros lors d'une conférence de l'Institut pour une nouvelle pensée économique à Berlin.
Dans une interview accordée en début de semaine au Figaro, il estime par ailleurs que "la crise s'aggrave jour après jour. Les responsables politiques ont déclaré prématurément qu'elle était terminée, mais c'est inexact". Pour lui les problèmes de fond demeurent : "les écarts de compétitivité entre les pays, qui se sont creusés lorsque les taux d'intérêt étaient convergents, demeurent. (...) L'un des points les plus inquiétants dans la zone euro actuellement est la renationalisation des marchés de dette."
"Les banques espagnoles achètent de la dette espagnole et les banques françaises de la dette française, mais vous ne voyez plus de banques françaises acheter de la dette espagnole. Cela pourrait potentiellement faire exploser l'euro. Comme si on était en train de recréer des œufs après avoir fait une omelette."
Pour sauver l'euro, George Sors a appelé l'Allemagne à une plus grande contribution financière dans un entretien au journal Welt am Sonntag : "Les Allemands doivent se décider s'ils veulent avoir l'euro ou non. Si oui, ils doivent effectuer des transferts financiers, si non, ils doivent quitter la zone euro, a dit George Soros. Mais alors, avertit le financier américain, ce pays doit s'attendre à ce que ses exportations en souffrent car "la nouvelle monnaie allemande s'en trouverait fortement évaluée."
Frederik Ducrozet : L’euro – la monnaie unique – est un atout majeur pour les pays de l’Union Economique et Monétaire (UEM), et il l’est resté tout au long de la crise que nous vivons. George Soros, comme d’autres avant et après lui, n’ont pas tort lorsqu’ils soulignent les désavantages compétitifs que l’euro fait subir aux pays les plus en difficulté aujourd’hui, et qui pourraient notamment bénéficier d’une dévaluation massive s’ils n’étaient pas liés à la politique monétaire unique de la BCE. Ces mêmes observateurs ont également raison de rappeler que l’introduction de l’euro a participé de l’aveuglement collectif des investisseurs des années 2000, lorsque les primes de risque sur les pays de la périphérie ont convergé sans refléter les réels risques sous-jacents – l’exemple de la Grèce étant le plus frappant. Non seulement les formes de contrôle ont fait défaut, conduisant à des excès d’endettement public et/ou privé, mais ces excès ont été amplifiés par l’euro, dans le sens où le marché unique permet aujourd’hui à des investisseurs de rapatrier rapidement leurs liquidités et, in fine, l’excès d’épargne privé, vers les marchés jugés les moins risqués, en l’occurrence vers l’Allemagne et quelques pays du « cœur » de la zone euro. Ces mouvements de capitaux ont accentué les déséquilibres qui se sont formés entre marchés et entre pays ; leur retournement brutal début 2010, puis à nouveau au second semestre 2011, reflète la profonde crise de confiance que nous connaissons aujourd’hui.
En revanche, on peut difficilement occulter les avantages de l’appartenance à l’UEM, ni faire comme si sa construction était réversible. Tous les Etats-membres continuent de bénéficier de l’euro : l’Allemagne, dont le taux de change effectif est de facto sous-évalué et dont la croissance a été largement soutenue par l’euro (pour plus de 50% selon certaines études récentes), mais aussi les pays de la « périphérie » (Grèce, Portugal, Irlande) qui sont aujourd’hui protégés par les mécanismes de solidarité interétatique, même si c’est au prix d’ajustements douloureux. Il faut rester cohérent dans son analyse jusqu’au bout.
La crise européenne – celle des institutions européennes, davantage encore que la « crise de la dette » - n’est en effet pas terminée, contrairement à ce que les marchés espéraient en début d’année. Les décisions spectaculaires prises par la BCE ont permis d’éviter une déstabilisation du secteur bancaire qui aurait eu des conséquences désastreuses, tout en gagnant du temps pour les gouvernements qui font face à une situation conjoncturelle toujours difficile. Mais un soutien aux conditions de liquidité (des banques, des Etats et donc du secteur privé) ne saurait être la réponse définitive à la crise. Cette dernière a des origines structurelles, mises en évidence par les épisodes de stress sur les marchés, qui doivent donc être réglées par des réponses structurelles. Cela peut passer par des réformes de structure d’inspiration libérale pour les pays dont les économies sont les plus rigides (« l’ordo-libéralisme » à l’allemande, qui peut prendre plusieurs formes et être accompagné de mesures de soutien à court terme, notamment pour les réformes qui concernent le marché du travail), mais pas seulement. Les institutions européennes doivent continuer de se réformer à marche forcée, vers un « fédéralisme d’Etats-Nations » plus poussé que ce qu’imaginait Jacques Delors. Le pendant de l’austérité imposée au Etats doit être assumé explicitement, notamment par l’Allemagne, afin de rendre les ajustements plus acceptables aux plans économique, politique et social. De fait, les discussions récentes autour d’un « pacte de croissance » suggèrent que nous allons, bon an mal an, vers davantage de solidarité entre Etats via les mécanismes de stabilisation financière (EFSF, ESM), les transferts directs ou encore l’utilisation accrue des fonds structurels européens et de la BEI.
La difficulté supplémentaire vient du fait que les ajustements structurels demandés aux Etats-membres, douloureux en temps normal, doivent être réalisés dans un intervalle de temps plus court, sous la pression des marchés, et sur fond de désendettement des sphères privées et publiques. Un des seuls pays développés ayant réussi ce tour de force dans l’histoire économique moderne, la Suède, n’a pu le faire que grâce à un consensus politique relativement stable, et surtout à une forte dépréciation de sa devise – deux différences majeures par rapport à la situation actuelle en zone euro.
L’Allemagne a longtemps minimisé son propre rôle dans la formation des déséquilibres en pays mais aussi dans la sortie de crise. Angela Merkel a pourtant signé le communiqué du G20 en novembre 2011 et ainsi affirmé l’engagement collectif à soutenir la demande interne dans les pays bénéficiant d’une marge de manœuvre suffisante, dont l’Allemagne. Par définition, la résorption graduelle des déséquilibres (de compétitivité, de déficits publics, de comptes courants, etc.) concerne également les pays en excédant, et l’Allemagne doit y prendre part. Cela ne signifie pas forcément que le pays perdra en compétitivité en laissant filer les salaires, dans la mesure où des mécanismes de rappel existent pour maintenir ces derniers en ligne avec les gains de productivité à moyen terme, mais une accélération relative et temporaire des salaires allemands fera probablement partie des ajustements à l’œuvre – ce dernier a d’ailleurs commencé, comme en témoignent les accords salariaux par branche récents, plus généreux que sur les années récentes. Enfin, l’Allemagne pourrait (devrait) également prendre de nouvelles mesures structurelles pour stimuler sa demande intérieure et financer son économie à long terme, sa démographie la plaçant dans une situation défavorable par rapport à ses voisins. En d’autres termes, au cours des prochaines années, l’Allemagne pourrait bien appliquer la maxime « faites ce que je dis, pas ce que je fais ».
Frederik Ducrozet : Economiste au sein de l’équipe de recherche de Crédit Agricole SA depuis 2005, puis économiste de marché pour la division de la banque d’investissement du groupe depuis 2007, Frederik Ducrozet est en charge du suivi macroéconomique de la zone euro, et de la politique monétaire de la BCE en particulier. Il rencontre fréquemment de nombreux investisseurs privés et institutionnels en France et à l’étranger pour présenter ses vues et discuter des problématiques européennes.
Propos recueillis par Olivier Harmant
Source: Atlantico