La démocratie selon Eric Naulleau : ça sent la naphtaline à l’heure du Printemps européen...
La démocratie se réduit-elle au gouvernement représentatif ? C’est ce que pense Eric Naulleau, et qu’il a exprimé le 4 juin 2011 face à André Bercoff dans On n’est pas couché (minutes 2’30 à 5’00). C’est pourtant historiquement faux. C’est même le contraire qui est vrai : le "gouvernement représentatif", né au XVIIIe siècle, s’est construit en opposition à la "démocratie", et fut progressivement, au XIXe siècle, appelé abusivement "démocratie représentative".
"Il y a un système de délégation, de représentation, partout, ça s’appelle la démocratie", lance Naulleau à Bercoff qui réclame une intervention citoyenne accrue dans la vie de la cité. Selon l’éditeur et polémiste, la démocratie se définit essentiellement par la représentation, par la délégation du pouvoir du peuple à des représentants (professionnels). Les citoyens, quant à eux, n’ont pas à intervenir directement. Leur seule action légitime : l’élection.
On renverra Naulleau aux analyses d’Etienne Chouard, en totale opposition aux siennes...
... mais encore au livre du politologue Bernard Manin Principes du gouvernement représentatif, et plus particulièrement à cet extrait, que Chouard cite dans un de ses articles sur AgoraVox :
Voici justement comment Sieyès opposait "démocratie" et "gouvernement représentatif" : "Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet Etat représentatif ; ce serait un Etat démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants."
Le philosophe Jacques Rancière rappelle aussi cette vérité historique : "La représentation est dans son origine l’exact opposé de la démocratie. Nul ne l’ignore au temps des révolutions américaine et française. Les Pères fondateurs et nombre de leurs émules français y voient justement le moyen pour l’élite d’exercer en fait, au nom du peuple, le pouvoir qu’elle est obligée de lui reconnaître mais qu’il ne saurait exercer sans ruiner le principe même du gouvernement".
Eric Naulleau, lui, l’a oublié... Renvoyons-le enfin, si les références qui précèdent ne lui suffisent pas, à une conférence (à écoutez ici) de l’avocat Roland Weyl, vice-président de l’Association internationale des juristes démocrates, qui déclare (comme l’a relevé Etienne Chouard) :
A l’heure du Printemps européen et des revendications de vraie démocratie, les propos d’Eric Naulleau ont une vague odeur de naphtaline... Comme le dit Bercoff, il est des activités qui doivent être réservées à des professionnels (la chirurgie, le pilotage d’avions, etc.), et ne sauraient en aucune manière être "citoyennes" ou "participatives" ; en revanche, il en est d’autres qui doivent l’être si l’on prétend vivre en démocratie : la politique effective et le traitement de l’information en font partie.
Agoravox ----------------------------------------- 1ere partie de l’interview d’André Bercoff :
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