Le « Printemps occidental » : Les «indignés» relèvent la tête
«Une grande misère parmi les hommes, c'est qu'ils savent si bien ce qui leur est dû et qu'ils sentent si peu ce qu'ils doivent aux autres».
Saint François de Sales
On se souvient que Stephane Hessel, humaniste résistant, ambassadeur, rédacteur de la Déclaration des Droits de l'homme, s'était indigné et l'avait fait savoir dans un petit fascicule: «Indignez-vous!» Tiré à des dizaines de milliers d'exemplaires, il a fait mouche car devant l'anomie du monde, les motifs d'indignation ne manquent pas. Avec le philosophe Edgar Morin, il vient de «récidiver» dans un petit ouvrage. Stéphane Hessel et Edgar Morin marient leur ardeur juvénile et leurs réflexions dans un manifeste, Le chemin de l'espérance, qui préconise insurrection des consciences et exigence citoyenne, socles selon eux d'une «politique du bien-vivre».
« L'ouvrage écrit à deux, est un manifeste d'indignation de «dénoncer le cours pervers d'une politique aveugle qui conduit au désastre, d'énoncer une voie politique de salut public et d'annoncer une nouvelle espérance», soulignent ces deux symboles de la Résistance et amis de longue date. «Nous ne proposons pas de pacte aux partis existants», insistent-ils. «Nous souhaitons contribuer à la formation d'un puissant mouvement citoyen, d'une insurrection des consciences qui puisse engendrer une politique à la hauteur de ces exigences». Ils appellent à dépasser les clivages idéologiques pour trouver des solutions. Ils définissent ainsi quatre sources pour «alimenter la gauche: la source libertaire, la source socialiste, qui se concentre sur l'amélioration de la société; la source communiste, qui se concentre sur la fraternité communautaire. Ajoutons-y la source écologique, qui nous restitue notre lien et notre interdépendance avec la nature et plus profondément notre Terre-mère, et qui reconnaît en notre Soleil la source de toutes les énergies vivantes.»(1)
On pensait naïvement dans les pays du Sud que les citoyens du Sud avaient le « monopole de la détresse ». En fait, il n'en n'est rien. La détresse, en un mot, la mal-vie, est mondialisée. A contrario, justement dans les pays du Sud, il y a des super-citoyens qui n'ont rien à envier aux citoyens des pays riches très riches, voire très riches. Je dis souvent à mes élèves ingénieurs que la consommation algérienne est faible (1000 kWh/hab /an) mais dans certaines villes, voire dans certains quartiers, la consommation est dix fois plus importante, elle n'a rien à envier à celle des pays européens. La mal-vie est telle en Occident, que de plus en plus, les citoyens protestent contre cette mondialisation-laminoir qui fait par exemple cadeau aux banques qui sont renflouées avec l'argent des contribuables en mutualisant les pertes, privatisent leurs profits au profit d'une oligarchie de sangsues qui pensent être éternels intouchables, voire prendre avec eux leurs fortunes le jour du grand départ...
A ce sujet, le professeur Jules Dufour écrit: «Un examen attentif de l'ensemble des activités planétaires, en 2011, nous fait saisir assez rapidement que l'ordre mondial imposé par les forces impérialistes dicte de plus en plus la conduite des affaires mondiales et a dépassé les limites du tolérable pour être maintenant qualifié comme celui correspondant à un système injuste et infâme généralisé. En effet, les conséquences économiques et sociales de la crise financière qui affecte l'économie des États-Nations partout dans le monde se caractérise par une diminution marquée des avoirs collectifs, un affaiblissement des institutions nationales et une gouvernance de plus en plus orientée et dominée par les plus puissants. Le pouvoir des peuples s'effrite jour après jour et le droit et la justice sont remplacés peu à peu par la répression économique, la violence armée et l'imposition de la loi des plus forts. La gestion de la crise économique et financière en Europe en est la plus parfaite illustration avec l'application du processus d'une soumission totale aux impératifs du «Marché».(2)
La réponse aux attaques des grands pouvoirs financiers contre les peuples prend forme peu à peu dans tous les pays gravement affectés en Amérique du Nord et dans la plupart des pays de l'Union européenne. Les peuples se lèvent sous tous les azimuts. Le déploiement de manifestations publiques organisées dans la mouvance du mouvement des «Indignados» dans les rues des grandes agglomérations urbaines comme Lisbonne, Rome, Madrid et Athènes prend de l'ampleur et pourrait ouvrir la voie à un soulèvement massif des populations appauvries, déshéritées et de plus en plus vulnérables de l'ensemble de la planète, sans oublier les émeutes de la faim. Devant cette ruée vers la justice, la réplique des forces impériales ne s'est pas fait attendre en appliquant une répression sanglante avec des arrestations arbitraires, des violences féroces contre les manifestants, notamment à Athènes, et l'emprisonnement de milliers de citoyens innocents. Il faut sans cesse avoir à la mémoire les dommages considérables infligés depuis des siècles à l'humanité par les protagonistes qui édifient et font prospérer les empires. (...) L'unanimité recherchée par l'Occident dans l'édification d'un monde unipolaire stable et soumis sera de plus en plus difficile à obtenir. Le bloc Russie-Chine semble se manifester de façon plus nette et on observe une fermeté de plus en plus affirmée de plusieurs pays contre l'imposture institutionnalisée de l'hégémonie d'un capitalisme mondialisé, système qui veut contrôler l'agenda des activités économiques et politiques de tous. (...) Selon Gray, le bloc Russie-Chine pourrait d'ici quelques années se poser comme puissance alternative à l'hégémonie américaine.»(2)
On dit que dans plus de soixante dix pays, les « citoyens d’en bas » s’indignent et le font savoir . Ainsi les citoyens de Russie, confrontés eux aussi à la "rapacité" et à la "corruption" des élites, sont concernés par la mobilisation du 15 octobre, estime un expert en économie. Selon lui, leur "passivité" est un mythe. "Occupy Wall Street est un mouvement de résistance de gens de diverses couleurs, sexes et convictions politiques, sans meneurs. La seule chose que nous avons tous en commun, c'est d'être ces 99% qui se refusent à tolérer plus longtemps la rapacité et la corruption des 1% restant. Nous employons la tactique révolutionnaire du printemps arabe pour atteindre nos objectifs et prônons la non-violence afin d'assurer une sécurité maximum de tous les participants". Voilà ce que veulent et ce qui distingue les manifestants new-yorkais (3)
« (…) Il s'agit poursuit, Alexeï Mikhaïlov d'un mouvement de protestation contre l'aide publique accordée aux grandes entreprises et aux banques, avec de l'argent prélevé sur le budget de l'Etat ou émis par le biais d'obligations qui vont engendrer de l'inflation. Ces gens sentent bien que quelque chose ne tourne pas rond. Les banquiers touchent à nouveau d'énormes bonus, tandis que le citoyen ordinaire ne se sort toujours pas de ses problèmes d'emploi, de salaire, de remboursements de crédits avec leurs taux d'intérêts qui grimpent. Ils veulent que le personnel politique et les banquiers entendent cette idée simple : "Ça ne peut plus durer". Quant à indiquer des solutions, ce n'est pas le problème du mouvement. Il se contente de faire du bruit et d'exprimer des revendications ».(3)
On dit que l’indignation occidentale a commencé à Seattle en 1999, elle a été catalysée par la débâcle financière de 2008 qui a laminé les espérances de millions d’européens notamment les restrictions « les douze travaux d’Hercule » imposés à chaque grec(que) en vain, le ras le bol des Espagnols dès le 15 avril qui ont pris exemple sur la place Tahrir en Egypte.
Avec perspicacité, une contribution sur le forum des démocrates met en exergue le « printemps occidental ». L'éclatement de la bulle immobilière américaine en 2008 impose aux Etats européens d'adopter des plans de rigueur et ce, qu'ils appartiennent ou non à l'Union européenne, ou non à la zone euro. Preuve que la Grèce n'est pas le seul mauvais élève. Chacun constate également que la «théorie des dominos», rejetée au 1er trimestre 2010, crainte au second, est aujourd'hui fondée tant pour les Etats que pour les banques. Ainsi, la théorie de l'interdépendance des Etats nous confirme que tout pays confronté à une crise financière impose à ses partenaires économiques les répercussions de ses propres difficultés.
« Oui, nous vivons dans un monde globalisé où nos économies dépendent les unes des autres. La première limite de cette proposition réside dans le fait que toute politique d'allongement des cycles d'austérité (pour les rendre moins violents) signifierait que le Politique accepte, officiellement, de sacrifier une génération. Mais n'est-ce-pas ce que constatent de nombreux jeunes à travers l'Europe avec l'expression des «Indignés». Et plus largement, n'est-ce-pas ce que constatent l'ensemble des générations confrontées à la crise... l'échec de la mondialisation. La deuxième limite réside dans le fait que l'économie ne peut, seule, répondre à la crise morale imposée par ceux qui placent l'argent et non l'Homme au centre de leurs préoccupations. (...) En 2011, chacun peut se demander quelle sera la nature de notre «printemps» occidental? »(5)
Pour Ahmed Halfaoui, pointant lui aussi, le rôle négatif des médias, le printemps pousse partout même si les médias n'en rendent pas compte. Ecoutons-le: «Des Arabes et assimilés, dans ce conglomérat politico-idéologique en perdition, on n'invoque plus cette année que ce «printemps» comme nécessité quasi biologique. (...)D'ailleurs, il y a des «printemps» qui poussent sous le givre, du Pacifique à l'Oural, et dont on parle le moins possible. Ceux-là, ils sont indésirables. (...) Il n'a pas beaucoup de chance de s'accomplir, mais il a le mérite de désigner l'amont du glacier. Wall Street, ce quartier d'où partent toutes les influences qui déterminent la famine ici, le chômage à côté ou la faillite là-bas. Ce qui n'a pas manqué c'est que «Occupy Wall Street» se transforme en «Occupy Together» en s'étendant à des dizaines de villes des Etats-Unis, dont les banques sont devenues des centres de convergence. Malheureusement, les tabassages et les arrestations ne trouvent personne pour les dénoncer comme il se doit, comme on a pris l'habitude de voir. Les maîtres du monde ne tolèrent pas que chez eux on fasse comme chez les «Arabes». On ne joue pas avec ça. Les insurgés de Grande-Bretagne l'ont su à leur détriment, ceux de Grèce l'apprennent tous les jours et les travailleurs forcés de Hongrie n'y pensent même pas (...)»(7) Le Monde nous apprend que « Les "Indignés" de la planète manifestent samedi 15 octobre. De la City de Londres à Wall Street en passant par la Puerta del Sol de Madrid , des milliers de personnes vont exprimer leur mécontentement et demander de nouveau la "démocratie réelle" dans plus de 700 villes. Aujourd'hui, les revendications des "Indignés" sont les mêmes à l'échelle de la planète. Tous exigent une société "éthique", "plus démocratique" et où les préoccupations des sans grade seraient mieux prises en compte par les différents pouvoirs. De nationales, les revendications des "Indignés" sont devenues globales. Retour sur un mouvement qui ne cesse de prendre de l'ampleur. (…) A l'image du printemps arabe, le mouvement des "Indignés" se structure surInternet . On ne compte plus les sites recensant la moindre action. Mais, rançon de son esprit démocratique, égalitaire et international, les "Indignés" peinent à faire émerger un leader, véritable caisse de résonnance de leurs revendications ». (8)
En définitive, comment ne pas donner crédit à un rapport secret «le rapport Lugano», conçu par des experts américains. Dans cette apocalypse annoncée et qui selon le juste mot de Susan George, les experts sont les légionnaires de la mondialisation, il est recommandé aux grands de ce monde, de favoriser dans les pays vulnérables l'émiettement identitaire et la fragmentation, de telle façon «à ce que les intéressés passent plus de temps à se demander ce qu'ils sont que de se mettre au travail». (9)
Le retour de manivelle est brutal, le mal touche en profondeur les couches vulnérables des pays occidentaux qui vivent à leur façon «leurs printemps» . Il est a espérer que l’immense coordination- protestation qui aura lieu ce samedi pourra enfin, faire entendre aux grands de ce monde, que les peuples n’en peuvent plus et qu’un autre monde, où l’homme retrouve sa dignité ,est possible. Il y va de la survie de l’humanité. 2. Jules Dufour (http://www.mondialisation. ca/index.php?context=va&aid=7696) 10.10.2011
3. Alexeï Mikhaïlov : Les Russes aussi sont concernés (EPIcentre, Centre d'études économiques et Gazeta.ru http://www.courrierinternational.com/article/2011/10/14/les-russes-aussi-sont-concernes 14.10.2011
5. http://lesdemocrates.fr/2011/07/21/quelle-sera-la-nature-de-notre-%C2%AB-printemps-%C2%BB-occidental/
6. Douglas Rushkoff CNN
7. A Halfaoui http://www.lesdebats.com/editions/101011/les%20debats.htm
9. Susan George: Les légionnaires de la mondialisation. Le Monde diplomatique. 2002. Ecole Polytechnique enp-edu.dz | |
|